Dessiner à Hong Kong → l’asiatique résidence

5.11.2023
26.11.2023
Dessiner à Hong Kong → l’asiatique résidence
©Sassoun Demirci

Durant trois semaines, Michaël Mvukani Mpiolani a été accueilli au V54, lieu de résidence pour jeunes artistes à Hong Kong. Il a participé à des ateliers en mixité, représenté le Créahmbxl lors d’événements et de dîners et découvert l’artisanat insulaire. Accompagné par Simon-Pierre Toussaint, directeur artistique et administratif de l’association, le dessinateur a ramené un portfolio impressionnant, à découvrir durant l’événement sapin sauce andalouse.

Pourquoi partir ?

La proposition est venue de Coline De Reymaeker, du musée Art et Marges : le musée montait l’exposition Brut In The City à Hong Kong, celle-ci incluait des dessins de Michaël Mvukani Mpiolani, l’artiste souhaitait-il bénéficier d’une résidence ? La réponse n’a pas vraiment tardé, le temps d’une réflexion en famille pour l’artiste, d’une organisation rapide de la part du Créahmbxl : c’était oui. Ainsi, le 5 novembre 2023, le dessinateur et le directeur du Créahmbxl, Simon-Pierre Toussaint, contemplaient côte à côte les nuages d’en haut. Ils étaient dans l’avion, c’était parti pour l’Asie. Savaient-ils ce qui les attendaient ?

Les résidences artistiques renouvellent le regard. Elles permettent d’entrer en contact avec des artistes et des acteurs locaux. D’appréhender une culture différente. Elles impliquent aussi, c’est fatal, une création sur place, des échanges, souvent sous forme d’ateliers, et quelques mondanités, dîners ou cocktails. Tous les créateur·trices ne raffolent pas de l’exercice. Aussi, c’est un pari d’amener avec soi un créateur en situation de handicap mental, sachant l’allergie au bruit, la difficulté du contact verbal et autres obstacles à une intégration immédiate à un nouvel environnement. Pourtant, l’occasion est trop belle. « Je me réjouis, » dit Simon-Pierre Toussaint, « que nous puissions prétendre à des résidences. Que l’on reconnaisse la qualité du travail du créateur au-delà de son handicap. »

Stimulation

Fort de 40 ans de pratique en accompagnement d’artistes outsiders, le Créahmbxl s’ouvre depuis quelques années aux résidences internationales, développant là une expérience différente du travail de création en atelier. Expérience qui inclut systématiquement, par exemple, un dialogue constant avec les artistes, des plages d’expression qui permettent de détecter immédiatement malaises ou mal être.

Cependant, hors humeurs personnelles et angoisses mineures, ces expériences se révèlent très stimulantes pour les artistes, fiers d’avoir présenté leurs productions à l’étranger, parfois dans le cadre de prestigieux festivals. Qu’elles soient en groupe ou solitaires, les résidences tiennent leur promesse d’ouverture et de création. « Je suis si fier de mon compagnon de voyage, » dit Simon-Pierre Toussaint, « être capable de créer vingt et un jours sans parenthèse, ça m’impressionne. »

C’est vrai qu’à Hong Kong, Michaël Mvukani Mpiolani a été particulièrement inspiré par la ville verticale. Chaque jour, rentré de promenade, il a dessiné une nouvelle perspective urbaine, créant des géométries étonnantes d’immeubles en contreplongée, escortés par de rares palmiers, ou formés d’une myriade de rectangles, les vitrages de gratte-ciels formant kaléidoscope. Il a observé « beaucoup de chantiers dans la ville. Des bâtiments en construction qu’on peut escalader par des échafaudages en bambou, les gens grimpaient, ça me faisait un tout petit peu peur quand je les regardais. » Il admire « l’équilibre des bâtiments » et aime les dessiner, ce qui se devine.

Représenter

Logé au V54, l’un des rares immeubles art déco d’inspiration française de la péninsule, le dessinateur rejoignait une communauté de jeunes artistes de l’île et d’ailleurs. Son atelier, doté d’une cheminée magnifique, était son refuge de l’après-midi, quand le dessin jaillissait. Michaël Mvukani Mpiolani a apprécié le lieu : « au V54, avec Simon, on était comme à l’hôtel. »

Happy Valley, quartier résidentiel où se niche le V54, bordé de trois côtés par des collines, a fourni les premiers buts de promenade avec son champ de courses et son cimetière pittoresque. Arrivé au sommet des collines qui moutonnent au long de l’échine de l’île, l’artiste contemplait ses futures œuvres. Il ne se souvient pas du nombre de kilomètres parcourus, mais d’un léger mal au pied et surtout, d’une sarabande de moyens de transports pour visiter l'île : « tram bus métro bateau ». À cette liste s’ajoutent deux lieux remarquables qu’il retient : « le zoo, la montagne ».

Après, les cercles de marche se sont agrandis, pour englober de longues vallées d’immeubles de verre, des échoppes d’artisans, de petits restaurants de rue, des marchés, une salle de gala, la demeure du consul… Sans oublier « ce que je n’avais jamais vu », précise l’artiste : les temples bouddhistes, dont les cours et jardins offraient le calme et le silence nécessaire pour se restaurer, même si la ville, livrée aux voitures, n’était pas aussi bruyante qu’on pouvait le craindre.

Brut In The City

Hors ces moments d’inspiration et de création, lors des échanges, Michaël Mvukani Mpiolani était le centre des attentions, acceptées avec beaucoup de courtoisie.

Il y eut le vernissage de l’exposition Brut In The City, dont il était le seul artiste présent et où « les gens lui posaient des questions sur ses dessins ». La visite du Nesbitt Centre, dirigé par le Dr Surinder Punjya, qui forme des adultes en situation de handicap, où il conquit le personnel. Une soirée exclusive, au 28ème étage d’un gratte-ciel, avec buffet concocté par un chef belge trois fois étoilé.  

Mais le mieux, pour lui, « c’étaient les workshops », quand le dessinateur et les participant·es dessinaient de toutes leurs mains une fresque urbaine représentant leurs immeubles préférés du paysage hongkongais ou celui qu’ils souhaitaient y voir figurer. Toutes les dix minutes, les dessinateur·trices changeaient de place. Attaquée des deux côtés simultanément,le dessin final se lit tête-bêche. Les adolescents du lycée français, un groupe d’enfants, des adultes jeunes ou vieux : le public était mixte. Angel Vergara, l’artiste contemporain, lui aussi en résidence, a même poussé une tête.

De ces échanges demeurent la fresque, longue d’une dizaine de mètres, et une collection de selfies auquel la vedette de ces ateliers en mixité s’est aimablement prêtée.

Les premières fois

S’il est libre dans sa tête, un artiste en situation de handicap mental voit parfois son horizon se limiter. Par prudence, les zones sécurisées sont privilégiées : la maison, l’atelier, les visites en famille. La résidence est le lieu de nombreuses premières fois, celles qui nous restent gravées dans la mémoire : goûts ou sons inconnus, découvertes cognitives, relation imprévue.

À Hong Kong, Michaël Mvukani Mpiolani a écouté pour la première fois de la musique classique, goûté des dim sum, passé le seuil d’un Musée des Sciences, pris le bateau sur le fleuve pour rejoindre une autre rive. Il s’est assis à bord d’un tram tracté, a sillonné Kowloon, le Wet Market et ses poissons aux apparences plus étranges les uns que les autres. Il a parcouru le Dragon Back’s Trail. Ces découvertes en ont provoqué d’autres. Par exemple, « quand tu écoutes les flûtes » et la harpe, « la musique traverse ton corps. » L’amoureux d’équilibre a aimé « l’harmonie » du concert classique et l’artiste spécialiste du détail le jeu « des cordes, qui vibrent ».

Le gourmand qu’il abrite a dévoré, dans l’ordre : « riz au poulet, nems, raviolis, pizzas » et appris à manier les baguettes, ce qui lui a permis de faire honneur sans honte « à la crevette tiger prawn » sautée avec chanterelles du banquet servi sous les lustres dignes d’un émirat de l’hôtel Marriott. 

Être entouré

Pour entourer l’artiste sur l’île, Bénédicte Caudron-Dirckx, une kinésiologue qui l’a amené à méditer à 360° et, au V54, Alison et Anita, qui ont veillé à ce qu’il ne manque jamais de rien, y compris de repères. Le tout, avec son accompagnateur de tous les instants, Simon-Pierre Toussaint, qui acceptait son désir de silence. « Je suis privilégié d’avoir eu la chance de regarder Michaël travailler. Je voyais nos quelques heures de marche du matin se matérialiser sur la feuille. Michaël ne trace jamais de ligne générale, il commence toujours par un mini-détail. Le silence apporte quelque chose de méditatif au processus. J’avais créé des liens avec Mika, mais passer tant d’heures ensemble les a renforcés. Nous avons développé notre propre langage non-verbal. Mais tout ça n’a été possible que parce qu’il s’est laissé aller. Il me faisait totalement confiance, ce que je considère comme un privilège. »

Et pour la première fois, toujours, le dessinateur a réalisé une œuvre à quatre mains,avec Matthieu du groupe La Jungle. Lui qui s’écarte habituellement en solitude,s’est échappé d’une soirée pour retrouver son comparse et achever ce qu’ils avaient commencé.

C’est beau les duos, deux têtes penchées sur une seule feuille, un univers fantasque qui s’imagine en accord, quatre mains qui tracent sans se heurter, surtout quand c’est voulu par celui qu’une paroi invisible semble parfois séparer de la société des gens ordinaires.

Trois semaines plus tard, Simon-Pierre Toussaint, qui avait pris contact avec de nombreux autres centres d’art destiné aux handicapés mentaux, regardait les nuages d’en haut en espérant revenir à Hong Kong en équipe. Michaël Mvukani Mpiolani s’apprêtait à regarder les films offerts par la compagnie d’aviation. Quelques minutes plus tard, ils dormaient tous les deux. Sous les ailes de l’appareil, les nuages s’effilochaient. Hong Kong restait amarrée à quelques encablures de la Chine. En sommeil, Michaël Mvukani Mpiolani rêvait« d’une nouvelle résidence au Congo, pour dessiner Kinshasa. »

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