Créahmbxl, résidence lutherie sauvage → Entretien avec Lucas Ravinale
Durant une semaine, Lucas Ravinale a accompagné les membres de l’atelier musique du Créahmbxl dans la création d’instruments uniques à partir de matériaux récupérés. Lutherie sauvage ou circuit bending,les sons produits sont amusants et fragiles.
Lucas Ravinale, d’où nous venez-vous ?
Je suis un musicien de guitare classique et je passe une grande partie de la journée à travailler de la musique baroque : j'ai découvert la viole de gambe il y a quelques mois et l'instrument résonne juste à côté de moi. Mais je me situe dans un entre-deux : entre musique savante et musique populaire.
Je travaille aussi avec une compagnie de marionnettistes, Kiosk Théâtre, en construction de marionnettes à taille humaine ou de petite forme (format table). Parfois, je sculpte. A force de travailler avec les mains, il y a des gestes qui reviennent et qui sont sûrs. Mais j'improvise beaucoup, autant en modelage qu'en musique.
En création musicale, nous sommes trois garçons : Loup Uberto, Alexis Vineis et moi qui avons formé le groupe Bégayer. Nous avons commencé par créer un réseau en acceptant de jouer partout, puis le milieu s’est ouvert avec notre tourneur, Murailles Music. Nous avons sorti un premier album : Terrain à Mire. Ensuite, nous avons eu accès à des résidences de création, comme au Confort Moderne, à Poitiers ou au Brise Glace à Annecy. Les musiciens, il faut tellement de temps pour répéter, c'était bien.
Avec Loup Uberto, l’un des faces du triangle Bégayer, nous avons effectué une recherche sur le répertoire de chansons de ces femmes de la vallée du Pô qui travaillaient dans les rizières. C'est une façon très forte et crue de chanter, un chant de gorge. Nous avons trouvé des livrets et modifié les musiques en ajoutant plus de percussions et une rythmique africaine. Ces mélodies sont devenues sans territoire et nous les amenons vers la danse, enfin nous l’espérons !
Comment êtes-vous arrivé parmi nous ?
Je suis très proche d’Antoine Loyer, le meneur du groupe Vin de Sprite et de l’atelier musique du Créahmbxl. Nous avons un geste proche, qui navigue entre faire de la musique et créer des instruments. Nous venons tous les deux de la musique acoustique, que nous essayons de mêler à l’électronique de manière « analogue ». Nous avons étudié beaucoup de musiques et d’instruments ensemble, comme la kora, par exemple.
C’est quoi la lutherie sauvage ou le circuit bending ?
En lutherie sauvage, on crée des instruments avec des objets de récupération, sans connaissance particulière.
Le circuit bending consiste à récupérer des circuits imprimés dans les jouets pour enfants ou de petits synthés et de créer un court-circuit entre les résistances pour générer d’autres sons.
Dans l’atelier, nous avons aussi récupéré et utilisé beaucoup de micros piezo qui amplifient tout ce qui vibre. Ce sont des micros très sensibles.
Qu’avez-vous trouvé au Créahmbxl ?
Le fait d’être présent une semaine entière m’a permis de consacrer un temps long à ces pratiques de lutherie sauvage et de circuit bending. J’entendais tout de suite les participants jouer des instruments. D’habitude, je les fabrique pour moi. Ici, je devais les adapter à d’autres façons de jouer.
J’ai trouvé au Créahmbxl plein de tempéraments, de personnalités différentes parmi les musiciens, avec des goûts très précis entre le son et le toucher de l’instrument, ce qui m’a permis de me questionner sur la manière d’en jouer.
Cela faisait sens pour moi d’être là. Je suis très sensible à l’art plastique et j’ai apprécié être dans un lieu qui dédie du temps et de l’espace à fabriquer des choses.
Qu’apportent les pratiques de lutherie sauvage ou de circuitbending ?
Avec Bégayer, nous avons développé une forme de langage musical avec des instruments très simples, qui produisent des langages singuliers. En ce moment, nous avons des cornemuses où l’on entend plus l’air que la note. Nous essayons de simplifier le rapport à la mélodie, comme avec les percussions où il y a très peu de notes. Au Créahmbxl, nous avons travaillé la simplicité dans le détournement. Ces objets étaient au départ d’autres instruments dont la fonction principale était de générer des bruits. Aujourd’hui, nous pouvons en jouer autrement et ils produisent des sons amusants et fragiles.
Comment vivez-vous la musique ?
Ça fait quinze ans que je fais de la musique, pile la moitié de ma vie. Je me mets dans un endroit du son et il se déploie tout autour de moi. Depuis mon adolescence, ça ne s’est pas arrêté et je ne vois pas pourquoi ça s’arrêterait parce que c’est parfait pour accompagner certains moments de la vie. C’est juste une vibration, qui peut apaiser.