Rémi Tamburini, Michaël Mvukani Mpiolani → Ferme de Chosal
Le dernier week-end de septembre, Michaël Mvukani Mpiolani et Rémi Tamburini installent une œuvre pérenne dans le parcours Land Art de la Ferme de Chosal. L’œuvre, usinée en kit à Bruxelles, sera montée et terminée sur place, lors d’une résidence de dix jours. Comment créer une sculpture à quatre mains, quand on a la volonté qu’elle soit inclusive et évoque nos rapports ambigus au paysage et à la nature ? Éléments de réponse par l’artiste Rémi Tamburini.
Créahmbxl : Quelle approche pour cette candidature de résidence artistique à la Ferme de Chosal ?
Rémi Tamburini : La Ferme de Chosal est une ferme pédagogique qui abrite un Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT). Elle prodigue aussi des ateliers de création en arts plastiques pour personnes en situation de handicap. En parallèle, elle a institué un programme de résidence d’artistes contemporains. C’est un endroit reconnu : la Ferme est membre du réseau Altitudes (réseau d’art contemporain en territoire alpin) et son programme de résidence est soutenu par la DRAC Rhône-Alpes (Direction Régionale des Affaires Culturelles). Chaque année, trois artistes sont choisis sur candidature pour implanter une nouvelle œuvre sur le sentier Art et Nature.
En 2023, la Ferme de Chosal nous a contacté et j’ai rentré un dossier de candidature au nom du Créahmbxl. J’y proposais une œuvre collaborative : tout d’abord un travail en duo avec Michaël Mvukani Mpiolani, suivi d’une intervention des participant·es aux ateliers de création de la Ferme de Chosal et des étudiant·es en horticulture, qui achèveront l’œuvre. Le dossier prévoyait également une dimension réflexive : l’œuvre de Land Art subit des détériorations dues aux conditions naturelles, il arrive même qu’elle soit partiellement détruite, et la proposition se devait d’induire une réflexion sur notre rapport aux paysages, à la nature, à notre devenir au monde.
En bref, il s’agissait de concevoir une œuvre pérenne, installée sur un sentier parcouru par plus de 20.000 personnes par an, inclusive dans son processus de fabrication et qui renvoyait à l’idée de finitude. J’ai avancé l’idée d’un gazebo, une fabrique de jardin qui renverrait dans sa forme aussi bien à l’imaginaire du romantisme allemand qu’à la science-fiction contemporaine et nous avons été retenus pour l’implantation d’une œuvre en 2024.
Créahmbxl : Comment se pense une telle œuvre et comment avez-vous travaillé avec Michaël Mvukani Mpiolani ?
Rémi Tamburini : Le projet s’inscrit dans la continuité de mon travail de sculpteur : entre 2012 et 2018, j’ai beaucoup travaillé sur le parc, et plus particulièrement sur les structures de belvédères que l’on trouve dans les parcs d’inspiration romantique. Elles m’intéressent parce qu’elles permettent à la fois de se retrouver dans une certaine intimité et d’offrir une vue propice à la contemplation. Le projet s’inscrit également dans la suite de l’expérience que je mène avec PSP (Proto Sound Project) au Créahmbxl : comment les participant·es artistes peuvent-ils s’emparer des objets que je crée et pour quel résultat ?
Pour Chosal, je pensais à un nouveau type de gazebo dans la continuité des belvédères déjà réalisés : une sorte de capsule dans laquelle on puisse pénétrer et se tenir. En discutant avec Michaël, nous nous sommes découvert un intérêt commun pour la science-fiction. Nous avons échangé des films. Michaël est fasciné par les univers urbains : il a accroché aux fictions post-apocalyptiques. L’idée a émergé qu’il travaille sur les mégalopoles, mais qu’elles soient étagées, fracturées, qu’il représente les sommets des immeubles, les ciels, puis le corps des constructions et, tout en bas, qu’il n’y ait plus qu’un univers de chantier, la ville en (re)construction.
À l’occasion de l’exposition Méta Surface au Vecteur de Charleroi, j’avais commencé à élaborer une réflexion sur de nouveaux supports, plus conséquents, qui sortiraient nos participant·es de leur zone de confort. Michaël avait entamé un travail de gravure sur métal, qu’il affine aujourd’hui sur verre et maîtrise de mieux en mieux. En partant de l’univers de la ruine, assez post-apocalyptique, et de ces fausses ruines de temples que l’on trouve dans les jardins romantiques, nous sommes parvenus à notre forme finale : une structure pyramidale évoquant à la fois un temple et les capsules spatio-temporelles des vieux films de science-fiction. La structure est en acier corten (alliage d’acier auquel ont été ajouté du cuivre, du phosphore, du chrome, du nickel et du molybdène), elle se couvrira d’une légère couche de rouille avec le temps. Une cinquantaine de panneaux de verre gravés qui représentent des villes tentaculaires l’habillent.
Créahmbxl : Plus de cinquante panneaux de verre : qui usine une telle œuvre ? Quels obstacles rencontre-t-on pour finaliser un tel projet ?
Rémi Tamburini : Pour créer une sculpture de ce type, le premier défi consiste à dessiner des plans d’ingénierie en tôlerie. La structure est un origami que l’on dessine à plat tout en prévoyant son déploiement. Ensuite, il faut faire comprendre à un ouvrier usineur spécialisé dans la transformation des métaux et habitué à produire des supports pour luminaires de chirurgie ou des pieds d’éolienne à quoi ressemblera l’objet final. S’ajoute à cela que le coût de transport d’un objet fini aurait été trop élevé et contraire à l’esprit d’inclusion du projet. La sculpture a donc été fabriquée en kit, de manière à pouvoir être transportée en camionnette et montée sur place. Les structures en acier corten étaient fabriquée par sections pour pouvoir être boulonnées à Chosal : chacune d’entre-elle possédait sa propre dimension et pliure avec une différence qui n’atteint parfois que quelques millimètres, mais l’usine les a fabriquées, puis livrées en désordre : j’ai reçu chez moi un puzzle de 200 sections avec des micro-angles à trier ! Ensuite, je suis allé chez un miroitier que je connaissais pour la découpe des 50 panneaux en verre. J’ai dû lui faire des gabarits pour qu’il puisse découper les verres aux angles souhaités. Il m’a maudit (rires).
Créahmbxl : Quelle sera la place de l’œuvre dans le paysage ?
Rémi Tamburini : Une fois posée, la coupole permettra d’avoir une visibilité à 360° sur le paysage environnant. Elle se situe sur une partie en hauteur du sentier Art et Nature, proche d’une œuvre du paysagiste belge Bob Verschueren. Par-delà le verre, le promeneur, la randonneuse, ont une visibilité sur la vallée, sur un fouillis végétal, sur un rideau d’arbres... L’œuvre est conçue pour amener au rêve. Les sections en acier sont trouées et certains panneaux de verre manquent intentionnellement pour permettre aux étudiant·es en horticulture de la Ferme de Chosal de la végétaliser. Ils y planteront du Lonicera Implexa de bouture (chèvrefeuille des Baléares). Ce poste de contemplation sera donc peu à peu « mangé » par la végétation.
Créahmbxl : Cette végétalisation, ce sera le temps de la résidence à la Ferme de Chosal ?
Rémi Tamburini : En résidence, Michaël Mvukani Mpiolani et les artistes en situation de handicap de la Ferme de Chosal travailleront ensemble sur la dernière section des verres gravés : les chantiers de villes tentaculaires. Pendant ce temps, il faudra terrasser la surface nécessaire à l’installation de l’œuvre. Ensuite, nous pourrons monter la pyramide avec les ouvriers de l’ESAT et y insérer l’ensemble des panneaux gravés. En dernier lieu, la sculpture sera végétalisée. Cela nous mène au 28 septembre, jour de la Fête de la nature à Chosal : les nouvelles œuvres installées en2024 sont dévoilées au public, il y a des animations, des ateliers créatifs, et surtout des ateliers de médiation où nous pourrons présenter ce travail achevé.
Créahmbxl : Une vision ?
Rémi Tamburini : Que la mousse envahisse la sculpture en suivant les incisions du verre. Que la capsule soit un temple, témoin de notre actuelle relation cité/nature pour le futur.
Ferme de Chosal
Sentier Art et Nature
Route de l'Usine, 98
74350 Copponex (Haute-Savoie)